Au fil de l'autre

Carnet de notes de mes explorations: filage, tissage et teintures
  

Processus indigo: comprendre

22.7.2019 Je suis en train de récolter le pastel au jardin. J'en profite pour formaliser ce que j'ai compris de l'indigo à ce jour. Pour mener à bien une cuve, il faut comprendre le processus du bleu.

Voici ce que j'ai compris à ce stade de mes explorations. Mes sources: les encyclopédies comme le Dominique Cardon, les stages avec Michel Garcia et quelques blogs sérieux. Garcia a lu et étudié autant que Cardon, mais il explique en termes plus pragmatiques les procédés de "chimie verte" qu'il affectionne en teintures végétales, et qu'il maîtrise (Cardon est plus forte en histoire, chacun son rayon).

Pas étonnant que j'adore le livre d'une historienne comme D. Cardon. Bien que je sois interprète de conférence à la base, j'avais passé le bac en "chimie-histoire" (il y a 50 ans, un équivalent du bac en Belgique était la "maturité" pour laquelle on pouvait choisir ses branches). J' ai tout oublié de la chimie, sauf ma curiosité.

 

Comprendre l'extraction d'une pâte d'indigo à partir de feuilles

Résumé : libérer l'indican et l'isatan des feuilles de pastel, transformer l'indican en indoxyl par augmentation de pH et en indigo par ajout d'oxygène (isatan, lui, deviendrait trop facilement de l'indirubine, moins stable et plus rougeoyante). Sauf intervention de ph/réduction, l'indigo et l'indirubine sont insolubles dans l'eau. Il faut les traiter en cuve alcaline réductrice pour que l'indigo devienne du leucoindigo (leuco-indigotin en anglais), se fixe sur la fibre et se transforme à l'air en indigo, stable au lavage, au frottement et à la lumière. Pour une démonstration claire en images qui bougent, voir le DVD nr 1 de Garcia.

Un exemple à partir des feuilles de pastel, puisque j'en ai au jardin.

Les feuilles de pastel à maturité contiennent des précurseurs de bleu, qu'on va devoir rendre solubles et révéler afin qu'ils puissent monter sur la fibre sous une forme contrôlée et s'oxyder au moment où on le désire (à l'air, généralement).

Composants dans le pastel: 25% d'indican et 75% d'isatan. L'indigotier, lui, a des proportions inverses. Les libellés parlent d'eux-mêmes: isatan comme isatis, indican comme indigotier.

J'ai résumé en infographie

Le processus sera donc: N devient X qui se couple pour devenir L, qu'on garde sous contrôle le temps de tremper la fibre puis de l'aérer, moment où il devient I, stable et résistant.

1/ infusion: on libère l'indican et l'isatan (N) des feuilles, en même temps que des colorants jaunes naturels. On peut jeter les feuilles.

Le rapport temps/température DU DEBUT est crucial pour libérer l’indoxyl des feuilles de pastel :
90°C 5min
80°C 15min,
70°C 30min,
60°C 2h ;
50°C 6h
Persicaria tinctoria & indigofera : 55°C max (car précurseurs sont différents) - 2 heures dans seau plastique, sous un poids ou un couvercle. Vérifier régulièrement en prélevant un peu de jus, en testant la teneur en indigo selon la procédure qui suit et en observant si l'on voit peu ou bcp de particules bleues.

Dès que l'eau est bien jaune brun, que le test d'extraction est positif, filtrer en pressant bien; garder l’eau, les feuilles vont au compost. On vient de faire un "bouillon de chou" (pastel = famille de choux) et non une soupe (où on mixerait la matière solide).

Les éléments N génèrent par un processus naturel de l'indoxyle (X).

On pourrait libérer en coupant ou broyant, mais la réaction serait trop rapide et non maîtrisable, car le fait de blesser une feuille produit l'enzyme B-glucosidase qui amorce la réaction. On ne pourrait plus contrôler le moment où l'indigo se précipite sur la fibre.
Il ne faut pas encore ajouter d'alcalinisant ici, car à ce stade et en alcalin, des éléments seraient libérés qui ne supporteraient pas une température supérieure à 50°C (je suppose: les indoxyls?).

2/ Oxygéner. Soit en transvasant d'un pot à l'autre, dix à douze fois, soit au fouet électrique.

Les éléments X se couplent deux par deux pour produire un nouveau composé: du leuco-indigo (L, "leuco"comme "blanc").

3/ Alcaliniser. à un pH de 8.5-9. On ajoute un alcalin (soude, chaux) pour neutraliser l'acidité que génèrent les sucres du point 1 et pour solubiliser du leucoindigo, le transformer d'acide en sel..

4/ Oxygéner à nouveau. On fouette encore le liquide après l'avoir alcalinisé, pour que L devienne I (indigotine) et précipite au fond de la cuve. On ajoute du C02 pour fabriquer du carbonate de calcium très pur qui va entraîner la chute des particules d’indigo avec lui.

On laisse reposer quelques heures, ou mieux: une nuit. On décante ensuite la partie supérieure du liquide. On jette l'eau, il ne s'y trouve quasi plus de pigment

On peut utiliser la pâte pour monter une cuve ou filtrer et sécher pour garder plus longtemps. Dès qu'on a la pâte ou le pigment sec, le processus est le même que pour la cuve d'indigo classique.

Décodage du processus quand on a frappé la feuille pour évaluer la teneur en bleu: blesser libère N par la grâce de l'enzyme naturellement présent (le B-glucosidase), N qui se transforme naturellement en X, X qui s'associe en L puis I par le fait d'être à l'air libre, en présence d'oxygène.

Comprendre l'extraction en infographie

J'ai résumé en une infographie pour les lecteurs visuels, ça me permet de voir si j'ai bien compris. car ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément... Ritournelle entendue dans la bouche de mon père dans mon enfance.

 

Cliquer pour voir en grand



Comprendre la cuve d'indigo en infographie

Je résume en une infographie ce que j'ai compris à ce stade de mes explorations. Je corrigerai s'il le faut. Le fait de l'écrire sous cette forme succincte me force à verbaliser un processus, qui m'aide à comprendre pourquoi/comment une cuve déconne.

Dès qu'on a précipité le pigment et qu'on veut monter une cuve ou dès qu'on a acheté de la poudre d'indigo, il ne sera plus question d'indoxyle ou de précurseurs. Il faudra solubiliser le pigment I (indigo) pour qu'il redevienne L (leuco - grâce à une base et à un réducteur). L doit le rester le temps qu'il se précipite sur la fibre qu'on trempera dans la cuve. Si l'on comprend que le "bleu" n'accroche à la fibre que sous cette forme transparente, on peut facilement gérer une cuve (voir les critères).

Au contact de l'air, L (la fibre est encore verte) se transforme en I (la fibre bleuit) - indigo qui reste bien accroché à la fibre, stable à la lumière, aux frottements, aux lavages.

 

Cliquer pour voir en grand



Critères rappel

Vérifier dans l'ordre ces critères:

  1. la cuve est jaune-brun clair verdâtre translucide
  2. une mousse bleue et une pellicule cuivrée apparaissent en surface
  3. le pH est à 9, 10 ou 11 selon qu'on teint de la laine, de la soie, du coton
  4. le liquide est au moins à 35°C - jamais à plus de 50°C

On teste en trempant un petit échantillon de fibre blanc, 2 minutes. On le passe sous l'eau pour l'oxyder, ça permet de vérifier: si l'eau de rinçage est bleue, l'indigo part et n'est pas fixé. Revoyez les critères!

Point 1. Si le liquide est bleu: l'indigo est encore non solubilisé, on ne doit plus voir les particules d'indigo provenant de la poudre de départ

Si le liquide est vert clair ou vert bleu transparent: pas assez réduit -> ajouter hydrosulfite ou fructose

Si le liquide est jaune transparent, sans trace de vert: trop réduit -> oxygéner en fouettant

Point 4. On peut certes teindre à froid, le tissu sera bleu, mais il semblerait que la couleur sera moins stable. Je n'ai pas encore assez d'expérience pour avoir vérifié, mais je crois MG sur parole. Il a procédé à tant de tests!