Slow-dye

Teintures naturelles pour les curieuses et les flemmardes
  

Un test en teintures synthétiques, une fois!

7.4.25 J'ai acheté un échantillon de teintures Octopus protéiques/cellulosiques, pour découvrir la procédure en teintures synthétiques. Comment pourrais-je comparer ou apprécier si je me limite aux teintures naturelles, mon seul domaine jusqu'ici?
"Une fois" parce que Belgique, mais aussi parce que je ne suis pas sûre d'être passionnée par les teintures synthétiques.


Plusieurs de mes copines, écolo pourtant, refusent de s'investir en teintures naturelles. "Casse pieds, long, laborieux, difficile à comprendre", me disent-elles. Pour mieux les comprendre, je voudrais découvrir la procédure en teintures synthétiques, que je n'ai faite qu'une fois, lors d'un stage de shibori avec des copines. Je n'ai pas vraiment porté attention à la procédure, qui en outre concernait du coton. Comment pourrais-je comparer ou apprécier si je me limite aux teintures naturelles, mon seul domaine jusqu'ici?

Je voudrais évaluer les jeux de couleur, la durée de travail, etc.

 

J'ai acheté chez LilyNeige (via la filature des Saules, près de Valenciennes) un pack de 7*10 grammes de teintures Octopus, ce qui me permettra de teindre 7kg de fibres en ton moyen.

Le projet en cours: j'ai reçu de Quick, du forum tricofolk, des laines très épaisses,dont je compte tisser un tapis. Elles sont beiges striées de brun par endroit. Une seule petite pelote est noire. C'est un fil célibataire.

La laine fait 3tours aux 2cm, càd moins qu'un cm, voir la taille à côté d'un bic (photo de nuit, pardon):

 

ça va me faire des tapis bien moelleux, comme mes tout premiers en 2021

Voici le résultat de mes essais en Octopus et ma procédure:

De gauche à droite, les tons pour le tapis: 1/ vert sapin de printemps 2/ noir non teint 3/ orange ocré 4/ vert flash que je changerai 5/ bleu aviateur dense 6/ turquoise 7/ jaune

Détails de mes mélanges, le poids de l'écheveau est en début de ligne. Les noms de couleur sont les miens, les Octopus s'appellent marigold pour orange; calypso pour rouge chaud; ébène pour noir; marina pour bleu foncé; blue spring pour cyan; banana pour jaune; lollipop pour rose fuchsia

1/ 270g, j'arrondis les calculs à 300G. Je vise un turquoise foncé, type "blue wade" des jardins anglais: 75%cyan 25% orange = 2 turquoise 1 orange. Résultat: vert sapin. Triste, mais fera bien dans l'ensemble.

  • Le vert sapin est donc, par 100g de fibre, 0.7 turquoise 0.3 orange, soit 100%

2/ noir était l'original, on oublie

3/ 440g, arrondi 400g. Je voudrais un coq de roche, abricot rosé clair. Je mélange 4/5 de (1g de jaune, 2g d'orange et 0.5g de rose fuchsia). résultat: ocre foncé. Je recommencerai

  • Ocre foncé orangé est donc, par 100g de fibre, 0.2 jaune 0.4 orange 0.1 fuchsia, soit 70%

4/ 470g, j'arrondis à 400g pour les calculs. Je voudrais un vert lumineux. Je mélange 50% cyan 50% jaune banane, soit 1.5 jaune et 1.5 turquoise. Trop peu vert, j'ajoute en cours de teinture 1g de turquoise -> 65% turquoise 35% jaune. Trop flash! Je le reteindrai demain, avec 1g de bleu marine: j'ai enfin mon bleu wade anglais.

  • Bleu wade jardin anglais est donc, par 100g de fibre, 0.35 jaune 0.60 turquoise 0.22 bleu foncé

Dont acte:

 

Dans l'échantillon, il me restera environ 1 m de l'ancien vert flash, caché sous le nouveau "bleu wade":

 

5/ 450g, arrondi 400g. Un pur bleu marine d'Octopus, à 1g/100g, soit 4g. Bleu aviateur dense. J'ai ajouté 1/5è du dernier mélange, ça change peu le ton.

6/ 400g. Un pur bleu turquoise d'Octopus à 4g, soit 1g/100g.

7/ 250g, arrondi 200g. Du jaune d'Octopus à 0.5g/100g, soit 1g. Jaune chaud.

J'avais aussi prévu dans mon petit carnet, mais n'ai pas fait cette fois-ci (l'inspiration me mène!):

  • Un gris bleu, à 4g/400g: 2gde noir et 2g de turquoise.
  • Un violet à 50% donc 2g/400g: 1.5g de rose et 0.5g de bleu turquoise
  • Un bordeaux à 100%, soit 4g/400g, 1g de rose fuchsia, 1g de rouge et 1g de noir

Ma procédure

  1. Je remplis 'évier de cuisine d'eau chaude vinaigrée jusqu'à un pH de 4.5
  2. Je fais tremper un premier écheveau dans l'évier, 30 minutes, en appuyant de temps en temps. Cette procédure vise j'imagine à ce que la laine soit bien imbibée d'acide, afin que la teinture soit unie.
  3. je fais chauffer de l'eau sortant déjà très chaude du robinet dans une de mes grandes casseroles de récup. 8 litres d'eau, pour une contenance supérieure, mais la laine va prendre de la place. J'acidifie au vinaigre jusque pH de 5+-.
  4. Je prépare dans un petit bol de ma droguerie le poids de poudre calculé, pesé avec ma balance chinoise chérie. Je dilue d'eau chaude, je touille pour éviter les grumeaux. Dans certaines poudres, j'ai dû gratouiller pour casser les grumeaux. Je déverse dans la grande casserole d'eau acidifiée. Voir NB.
  5. Pendant ce temps l'eau est bouillante. Je transvase la laine trempée via un seau vers la casserole d'eau bouillante.
  6. Au même moment, je rajoute dans l'évier l'écheveau suivant.
  7. Entendu en vidéo: "attention, l'acide va ouvrir les écailles". Bizarre, j'ai appris chez mon prof' de teinture naturelle, très axé science, que c'est l'alcalin qui fait cela. Ne serait-ce pas une légende? Idem avec ceci: je n'ai aucun souci à déposer de la laine même mérinos dans de l'eau bouillante, je l'ai fait des centaines de fois, sans feutrage. C'est au retour vers le froid qu'il faut être attentif: entre 50 et 40°C, seuil où les écailles se referment et risquent de s'emmêler à cause du choc thermique.

  8. Je dépose la laine dans l'eau bouillante, j'appuie avec un presse-purée. Je vérifie le pH, s'il le faut j'acidifie au vinaigre jusque 4.5. Je laisse reprendre la chaleur jusque 90°C, je garde la température 5 minutes. Remonter à 90°C prend 10 minutes chez moi. L'eau est claire, c'est bon.
  9. Je peux sortir la laine à l'aide de deux bâtons solides, je la transvase dans un seau et je la laisse sécher sur la terrasse. Cette laine est rustique, elle supporte le traitement. Je n'aurais pas osé la rincer dans l'eau froide, malgré tout.
  10. L'eau est restée très chaude, elle est claire. Elle me servira pour la couleur suivante.

J'ai bien le temps de préparer mes mélanges, puisque l'écheveau nr 2 doit tremper 1/2 h en tout. Il n'est dans l'évier que depuis 15 minutes.

Après 5 minutes, je recommencer à partir du point 4, en vérifiant de temps en temps le pH dans l'évier et dans la casserole. Pour mes 5 couleurs, je n'ai pas changé l'eau, elle était chaque fois limpide ou au moins très claire en fin de teinture. Je n'ai pas dû rechauffer 8 litres d'eau à chaque fois. Economie d'énergie! L'un dans l'autre, j'ai teint 2,2 kg en 2h30.

 

NB poids des poudres

Le fabricant propose de préparer des solutions-mères, comme le fait l'importateur des Greener Shades. C'est le plus facile quand on n'a pas de balance au centième de gramme près comme la mienne, non électronique: juste derrière la balance mécanique rouge. Je l'ai depuis 30 ans, mes débuts en céramique. Elle est toujours opérationnelle. Le moins d'électronique j'ai, le mieux je me trouve.

 

NB protections

Le fabricant se protège, et c'est bien naturel: il demande qu'on porte un masque et des gants. Les filles qui font des démos en vidéo, en revanche, me font bien sourire: le masque, en particulier, est vain quand elles travaillent dans leur cuisine car la poudre va de toute façon voleter là où il ne faut pas. En outre, on se protège avec un masque, mais dans la même semaine on va se teindre les cheveux avec des produits agressifs, on va se badigeonner la fraise avec tant et plus de crèmes riches en additifs, on va prendre des médicaments comme s'ils étaient des bonbons, on va se faire vacciner contre la grippe avec un produit inefficace et toxique, directement dans le sang... Hilarant d'incohérence.

Je n'ai évidemment pas mis de masque quand j'ai manipulé les poudres, c'est rien de chez rien (1g).

J'ai mis des gants, pour ne pas garder les doigts colorés.

 

Etape suivante

Cette forme de teinture particulière permet de teindre des cellulosiques, à condition d'alcaliniser le bain au lieu de l'acidifer, et d'ajouter du sel pour la fixation. C'est ce que j'essaierai lors de l'étape suivante.

 

Un compromis

Ajout a posteriori. Intéressant échange avec Ygaelle, de la Laine des Coccinelles (bio, local), sur son choix de teindre son stock en synthétiques:

 

Ygaelle : "Ces colorants sont pour moi un bon compromis (j'ai bien écrit compromis). Et cela pour 2 raisons : la facilité d'usage (la teinture végétale, pour être à la fois grand teint ET écologique, nécessite une vraie formation et de vraies compétences, que je n'ai pas, et je ne peux me former à tout dans ma vie, en tous cas avant ma retraite), et le prix. Il est très important pour moi que mes produits en laine restent accessibles au plus grand nombre. Un écheveau teint en végétal est vendu entre 23 et 30€/100gr, là où je vends 11€ en raison du temps de travail nettement moins long et du prix des pigments moins élevé. C'est un choix, un vrai choix, conscient. J'estime qu'utiliser des colorants certifié Gots, mordancer au vinaigre blanc, rejeter une eau claire (je laisse toujours qqs écheveaux toute la nuit dans ma casserole pour vraiment pomper tout ce qu'il peut rester) équilibre relativement le fait d'utiliser des colorants de synthèse et me permet de vendre à des prix relativement accessibles, dans le cadre d'une activité économique comme la mienne. Et je suis très heureuse que d'autres fassent d'autres choix, conscients eux aussi. "

Mes conclusions

La pratique est déconcertante pour une teinturière au naturel: on a l'habitude d'épuiser des bains, de jouer avec des ajouts de fer ou d'autres adjuvants pour travailler les tons. Ici, on calcule au gramme près, le bain s'épuise naturellement.

Ecologiquement, je n'ai pas de souci à utiliser ces teintures synthétiques qui, pour les Octopus, sont d'ailleurs "les seules Teintures européennes accessibles à tous, labellisées intrant GOTS" (réputées "bio" ) : "ils respectent des normes strictes en matière d'environnement et de santé. Ces intrants sont utilisés pour des processus comme les colorations, les blanchiments, les impressions et certaines méthodes de transformation textile. Ils sont sélectionnés pour être non toxiques et non polluants, ce qui réduit leur impact sur les eaux et les sols."

Ceci n'est pas une norme bio, c'est flou comme le Slow food ou l'agriculture raisonnée, mais c'est déjà un grand pas.

Par ailleurs, pour le GOTS, j'ai peine à comprendre qu'on l'accepte en bio s'ils acceptent des teintures azo, les principales en synthétiques. Les azos ont eu une réputation de non toxicité au point qu'on les utilisait en alimentaire, jusqu'à ce qu'on comprenne leur métabolisme réel dans l'être humain. La vente est interdite en Allemagne depuis plus de 20 ans, par exemple. Les canaris de la modernité dont je suis sont hyperréactifs à la tartrazine, pourtant autorisée dans le beurre (colorant jaune). C'est un azo, dont le cycle benzène semble poser problème chez ce profil.


Pourquoi interdits en '94 en Allemagne? "les colorants azoïques des textiles peuvent être absorbés par la peau lors d'un contact prolongé avec le corps humain et s'y propager . Ces colorants peuvent subir une réaction de réduction dans les conditions de réaction biochimique normale du corps humain, puis décomposer les azos en amines aromatiques. Après activation, les amines aromatiques peuvent devenir cancérigènes, car elles modifient la structure de l'ADN du corps humain" adapté de https://fr.hanslace.com/info/why-are-azo-dyes-forbidden-in-textile-printing-17178462937129984.html

On vante d'autres teintures comme les Greener Shades qui seraient "moins toxiques" que les synthétiques classiques, car exemptes de métaux lourds. C'est le fabricant qui le dit. Désolée d'être radicale, pensé-je pour notre chère Sandrine de la boutique Alysse créations qui désormais importe ces teintures chez nous.

NB. Le site existe bien, je ne l'avais plus retrouvé: https://gs.stillrivermill.com/ . Il ne me reste plus qu'à investiguer. Mais mon oeil d'ex-lobbyiste voit que d'autres marques comme RIT prétendent aussi être sans métaux lourds...

Octopus et autres: c'est sûr que la production n'est pas écologique (pensons aux pauvres ouvriers et espérons que le producteur ne relargue pas ses déchets dans les rivières), mais le résultat domestique donne une eau claire: quelle pollution environnementale cela pourrait-il engendrer? Je rejoins Sandrine sur ce plan, qui vend autant des teintures naturelles que des synthétiques..

C'est question santé que je rechigne quand je dois teindre ce qui touchera la peau. Je suis si fragile que je réagis à plein de produits chimiques. J'ai d'ailleurs eu mal de tête après ces 3 heures de teinture Octopus , où je ne passais pourtant pas longtemps en cuisine - des aller-retours entre le bureau et la teinture. J'ai l'habitude de surréagir à des vapeurs (plus qu'à des poudres) au point qu'un feu ouvert ou un insert peut me donner une affreuse céphalée le lendemain. Je suis un cas à part, d'hypersensible ("canari de la modernité" comme dans mon livre éponyme). Ne généralisez pas.

Je comprends que la procédure en synthétiques est plus simple, c'est un atout. Mais Mamie couleurs ici présente a plus de joie à jouer des multiples bains possibles en teintures naturelles, dont la procédure ne m'est plus lourde, tant je l'ai simplifiée. Michel Garcia nous a d'ailleurs appris à teindre en monobain acide et naturel, sans même prétrempage acide. La différence avec les synthétiques: la cuisson dure 30 minutes minimum; on peut réutiliser la fin de bain pour d'autres tons ou d'autres mélanges. Mais en gros, le monobain acide ressemble fort aux bains synthétiques.

Maintenant que j'ai testé en concret, je pourrai faire un graphique illustrant la série de procédures en comparatif: synthétique versus naturel.

Question couleurs, j'ai fait deux essais qui me semblent édifiants, mais on retiendra que de gustibus e coloribus, hein! Ceci est un avis esthétique et non commercial, je ne cible pas une marque en particulier. Avant d'écrire ceci, j'ai ressorti du tiroir mes essais précités en shibori en 2014: même sensation de ton "monocorde".

D'abord un tapis en trames jointes, improvisé sans réfléchir comme j'ai l'habitude de le faire en teintures végétales. Eh bien, les amis, en laines teintes en synthétiques, ça le fait pas! Le résultat était si hideux qu'au tomber de métier j'ai appelé le chien pour lui offrir sa nouvelle natte ;)

Finalement, deux jours plus tard, j'ai démonté le tapis, trop moche, qui me faisait mal aux yeux.

 

Ensuite, ma leçon apprise, un tapis en boundweave sur 3 cadres, qu'on appelle krokbragd (ne fut-ce que pour le plaisir de prononcer le mot!). 120cm sur 57cm. Vu le clash des couleurs, je ne me suis pas laissée aller à l'impro totale, mais je n'ai pas fait de fantaisie: un simple sergé suivi, en alternant parfois des touches de couleurs contrastantes.. J'ai conçu une forme d'uniformité d'abord, je me suis contrainte tout le long du tissage:

 

Il s'agit de bien noter que c'est mon premier essai de mélanges en teintures synthétiques. Il se peut que j'aie foiré le jeu des mélanges. Ne pas juger sur mon expérience unique, si spécifique.

D'ailleurs, il me reste de grosses laines et de la teinture Octopus. dont je vais encore produire des tons intermédiaires, que je voudrais un tantinet plus rabattus ("doef" comme on dit en Bruxellois). On verra bien si j'arrive à des tons moins flash.

Dont acte dans le billet suivant


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