Au fil de l'autre

Carnet de notes de mes explorations: filage, tissage et teintures
  

Petit à petit, j'élabore mon jardin tinctorial d'amateur

10.9.2018 J'amorce un petit jardin tinctorial conjoint à un potager. En biodynamie, ascendant permaculture.

Ce dossier de quelques pages s'intitulera "Petit à petit", en hommage à Jean Rouch, réalisateur de ce merveilleux film éponyme (1971): un Nigérien visite Paris pour des raisons d'apprentissage en architecture, il en profite pour nous transmettre, sous forme de docu-fiction, ses étonnements face à notre mode de vie. L'anthropologie inversée ou les lettres persanes du XXè, on adore!

Mon dossier reçoit le nom de "petit à petit" car je n'ai pas de grandes ambitions potagères. Et puis j'étonne mes proches par ma patience de fourmi, je travaille une heure à la fois. Eh oui, ils sont habitués à ce que je fonce à tout berzingue dans un projet, mais depuis quelques semaines je suis en vieillissement accéléré, je me traîne. Je construis petit à petit mon nid à plantes tinctoriales. Cela pourra prendre deux mois comme deux ans.

"Petit à Petit" comme PP me permet de jouer l'allitération avec mon objectif d'un potager du Paresseux Productif Peu-friqué: le jardin des 5P (qui sera d'ailleurs en 5 parties, comme on le verra plus tard).

Je noterai ici l'évolution de mes réflexions pour ce petit jardin que j'amorce au sein d'un jardin partagé voisin. M erci au passage aux propriétaires de nous laisser l'accès à ce merveilleux verger. Quelle générosité!

En 1998 j'avais développé chez des voisins un potager en permaculture, avec buttes. J'ai beaucoup appris du terrain, après avoir beaucoup potassé mon livre de Bill Mollison. Hélas! Les voisins ont vendu le terrain, j'ai dû abandonner après 2 ans. Au passage, encore victime d'épuisement chronique alors, j'ai découvert par hasard une technique de semis chaotique: à bout d'énergie, en mai de l'an 2, j'ai ouvert tous mes paquets de semis et j'ai semé à la volée sur les buttes. Advienne que pourra! Je tenais encore à peine debout, je n'aurais plus eu la force de gérer ce potager. En quelques semaines, des zones denses avaient germé, réunissant courgettes, tomates, choux, laitues, etc sur un tout petit espace. De larges espaces vides. Ces derniers se sont rempli d'adventices au fil des mois, tandis que les zones denses ont prospéré sans entretien. J'ai récolté de fameux légumes...

En 2003, j'ai pu jouer à la potagère dans un terrain près de la maison que je louais à Daverdisse, dans les Ardennes. L'aventure n'a duré qu'un an car la vie m'a mené dans d'autres contrées ensuite. A cette époque, j'ai découvert la biodynamie en suivant une formation avec Pierre Masson (dont je chanterai les louanges dans un prochain article). Pendant une année quasi complète, d'avril à février, j'ai pu mettre en oeuvre ce que j'ai compris de cette approche, en la combinant avec la méthode de Gertrude Franck. Très performant, pour une première année d'un quasi premier jardin. Mes voisines, vieilles ardennaises qui se riaient de la citadine en mai, m'ont demandé des infos fin septembre: "mais t'as pas de pestes dans ton jardin? ki sont beaux tes choux..."

Je garde quelques bonnes pratiques de la permaculture, mais le fond de ma pensée tend vers la biodynamie. Ces deux approches sont similaires dans la mesure où elles visent un sol vivant, une observation de la nature du terrain et des plantes, une interaction entre les acteurs du potager, une multiplicité de fonctions pour chaque acteur. La différence entre les deux? Si je devais caricaturer, la permaculture est de la nutrithérapie bio; la biodynamie est l'homéopathie de la bio. Je fais simple, car en réalité cela demanderait une heure de conférence.

Dans la vision du monde végétal des biodynamistes, on n'apporte pas d'engrais (les compléments ou la vitamine C de la nutri), mais on dirige les forces du vivant afin que les végétaux se défendent, développent leur immunité, grandissent en force et beauté. On empreint le terrain de stimulus en dilutions minimales, comme une tisane de 10g d'orties à l'hectare, pour communiquer une orientation d'énergie qui se manifestera - ou pas - selon qu'on a choisi le bon moment du jour, le bon jour, la bonne période de l'année. On observe autant le microcrosme (mycéliums & Cie) que le macrocosme (positions planétaires).

Quand on débute, on croit généralement que la biodynamie se résume à suivre le célèbre calendrier de Maria Thun, qui repère les jours plus favorables aux fruits, aux racines, etc. Cela est certes une bonne entrée en matière, mais s'y enfermer reviendrait à ne plus mettre les pieds au potager: imaginez une personne active belge dont le potager n'est pas attenant à la maison; elle ne choisit pas vraiment les jours racine ou feuilles, mais bien le moment où elle peut travailler au potager selon qu'elle dispose d'un peu de temps entre les courses, les enfants, les activités sociales et le boulot temps plein et selon que le temps belge, si souvent pluvieux, la laisse libre d'arpenter le potager.

La biodynamie produit des effets merveilleux en un à deux ans, si elle est menée avec de l'intuition, une fine observation ET de la rigueur. L'aspect éthéré que peut présenter cette méthode quand on la résume à la louche comme je viens de le faire pousserait quelques pratiquants à ne jardiner qu'à l'instinct ou qu'en écoutant les entités du jardin leur dicter les actes nécessaires. Les gens qui pratiquent la biodynamie sous cette forme ont certainement de bonnes raisons de le faire. Je n'accroche pas, toute médium que je suis. Je suis plus orientée pragmatique, je ne suis pas satisfaite de jouer un rôle sur scène, il me faut des résultats. Je tenterai mon possible avec ce que j'ai en mains: une bonne intuition, et une méthode rigoureuse dans mes pratiques. Il me manque la "fine observation", partie indispensable pour laquelle je suis hélas! nulle de chez nulle. J'arrive à très bien observer les humains. A la limite les animaux quand je me concentre. Les végétaux: j'ai encore un beau potentiel de progression, disons.

Quelles que soient les récriminations contre la biodynamie "ésotérique et chamanique" (voir le discours d'un Michel Onfray, qui avait dû mal dormir ce jour-là tant il est de mauvaise foi), les résultats sur le terrain sont probants, chiffres et photos à l'appui. Mon ami Pierre Masson, conseiller auprès de viticulteurs, collectait les observations sur les parcelles menées en classique ou en bio versus les nouvelles parcelles que ses clients lançaient en biodynamie. J'ai chaque fois été soufflée par les photos comparatives. Dans mon cas perso, privée de vin pendant 15 ans pour cause d'affreuses céphalées du lendemain (après une gorgée! même de vins bio), j'ai pu enfin me réconcilier quand Pierre m'a convaincue de me limiter aux vins élevés en biodynamie. Je n'ai aucune explication. Je suis légère comme un pinson le lendemain matin. A dire la vérité, le soir de la dégustation, j'ai l'ivresse légère et non mélancolique comme c'était le cas avant.

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