Au fil de l'autre

Carnet de notes de mes explorations: filage, tissage et teintures

Jour 1 de ma semaine de teintures végétales avril 2023

24.4.2023 Après un récap' des techniques de teintures multiséquentielles, que je produirai peut-être enfin ce printemps, je consigne mes notes de teintures courantes.


J'ai relaté en début de mois comment j'organise mon retour à l'atelier après un an de silence (l'atelier étant un terme pompeux pour un coin brolique de la buanderie). Je publierai ici mes notes de teintures, en tâchant de faire référence aux anciens billets, parfois plus développés - afin que des apprentis teinturiers y trouvent leur miel.

J'ai mordancé quatre jours avant la teinture.

Jour J moins 4 jours

Laver - décatir

Je prends le temps de bien laver les laines et les soies. Parfois en casserole, parfois au lave-linge, dans des sacs à linge bien fermés; en programme laine à 30°C. Il faut bien ce programme pour que l'essorage ne feutre pas la laine. Voir en photo en fin de billet un cas où j'ai par mégarde branché le programme soie à 30°C...

Je décatis les cotons en casserole, au savon de Marseille et cristaux de soude : fibres = 400g par casserole de 10 litres (je n'ai pas plus grand); deux heures à 80°C. L'eau est brunâtre, alors que les cotons achetés sont blancs purs! Tout ce qui n'est pas viré risque de gâcher la couleur.

Pour 3 kilos de fibres, ça ne prend pas beaucoup de mon énergie, mais beaucoup de temps: y penser, revenir vérifier, etc.

Mordancer

Pour les soies et les cotons, je vais réessayer l'acétate d'aluminium acheté chez Greening (qui impacte le prix de la teinture à hauteur de 0.5 à 2 € le kilo de cellulosiques, avec 5 à 10%  PTS). Il m'avait déçu lors de mon premier essai, mais j'avais chauffé comme un bouillon classique. Cette fois-ci, je le dilue dans de l'eau chaude de distribution, j'ajoute les fibres, je couvre, je secoue de temps en temps et je laisse 2 heures ou plus. Je teste l'efficacité dans un bain de gaude ou de garance, celui qui me reste sous la main. J'ai commencé à 10% PTS pour évaluer. En moyenne on peut se limiter à 5% surtout si on a tanniné auparavant, ce que je fais parfois. .

 

NB Normal que le liquide reste crayeux/opaque? Sur leur site, Green-ing propose de cuire en bouillon, je pense que c'est une erreur. Maiwa le fait aussi à froid. L'acétate fait maison à la Michel Garcia: à froid, malaxage de dix minutes dans le liquide. Ce dernier ne conserve pas, il faut le refaire tous les jours.
NB MG: il déconseille l'acétate d'alun, qui n'a pas la même réactivité chimique que son mélange maison (c'est du monoacétate). Exit.

Après 2 heures de bain, je transfère les écheveaux sur un radiateur pour qu'ils sèchent plus vite. Je peux encore utiliser la solution, il doit y rester l'équivalent de 5% PTS. J'y trempe, à froid sans réchauffer, deux écheveaux de soies. Suspens jusque demain!

Pour les protéiques, cette fois-ci j'ai fait pour la semaine de teinture une solution d'alun, selon la méthode Jenny Dean (https://www.jennydean.co.uk/alum-mordants/) : je dissous 100g d'alun de potasse dans un litre d'eau déminéralisée (de mon séchoir). Je garde en pot fermé. J'intègre, comme elle, 10% d'alun comme mordant standard; je n'utilise plus de crème de tartre depuis longtemps. Il m'est plus facile de peser le même poids de fibre que de liquide. Le pot me servira pour 1kg de protéiques à aluner.

NB. Des tests pointus comme chez http://www.sheepcabana.com/?p=2130 semblent montrer une claire différence avec et sans crème de tartre; chez moi, aucune, chez Jenny Dean, aucune. On doit avoir une source d'eau différente...

 

Je m'y prends 4 jours à l'avance, car les acétatalunés doivent être secs à coeur. Je les pose près de ou sur un radiateur. Les laines alunées devraient aussi mûrir, sans rinçage après alunage, au moins 24 h-48h.

Inutile de vouloir sécher les cotons en urgence au sèche-linge, emballés dans un sac à linge bien fermés. Je ne sais quel lutin ouvre ces sacs systématiquement, je me retrouve avec des zigouigouis.

J'aime fonctionner en "usine" et mordancer des séries entières, ça ne me dérange en tout cas pas. Je peux aluner 300 à 400g de laine dans une de mes grandes casseroles de 10 litres: je remplis d'eau très chaude du robinet (50°C), je fais fondre l'alun dans un fond d'eau bouillante, j'ajoute l'alun et les fibres tenues par un tuyau, je couvre. Je récupère le lendemain, sans plus de chauffe. Parfois, je fais chauffer une heure à 60-70°C, si j'ai besoin de la laine plus vite.

Pas besoin de casseroles pour les cellulosiques, puisque tout se passe à froid ou quasi. Je le fais en seaux (j'ai récupéré des seaux de sauces à la friterie d'un ami; j'ai aussi des seaux d'un vendeur d'olives sur le marché).

Jour J

Jour -4

C...ie de ma part qui ai voulu essayer de sécher en vitesse deux échevaux de coton au séchoir ménager. Ils se sont échappés de leur sac à linge, certains sont simplement en zigouigouis voir ci-dessous. L'un d'eux est carrément un gigantesque noeud de fil de pêche. Qu'à cela ne tienne, j'ai besoin de variations de couleur pour la trame, en tissage. Contrairement au triccot et crochet, on ne doit pas rentrer les fils; on joue beaucoup plus des variations de fil. D'habitude, je file en séquentiel (exemple la soie ici: xx), mais comme je ne file pas le coton, je devrais teindre la chaine avec des gels, par zones; puis la fixer par vaporisation. Compliqué! Je préfère récupérer les bouts gérables de ce gros noeud, j'en fais des bouts de coton, qui vont servir de tests dans divers bains; et qui seront intégrés dans un tissage à couleurs séquentielles aléatoires. Chaque bout fait de 1.5 m à 3m. Mes tissages font 40-50cm de large. Chaque couleur peut me faire 3 à 6, si pas plus, lignes (qu'on appelle "duites" en tissage). Je vois déjà un bel arc en ciel...

Fixer les acétatalunés

Je dois fixer l'alun après mordançage à l'acétate d'alun. Je le faisais aux cristaux de soude ou à la lessive de cendres quand j'en avais. J'ai appris chez Liles que les Anciens, lorsqu'ils fixaient avec des crottes de bique ("to dung" : crotter en anglais), ajoutaient simplement calcium et phosphates dans l'eau de fixage. On peut donc faire plus propre: craie pour le calcium et son de blé pour les phosphates. MG nous apprend en outre dans une vidéo-cours que le son de blé contient de l'acide férulique, considéré comme protecteur d'UV. J'ai acheté un sac de 20 kg de son de blé dans une animalerie chevaux, j'ai de quoi voir venir à raison de 4 poignées par jour de teinture...

Je mets le son dans un nouet, je verse de l'eau chaude du robinet (50°C), je malaxe bien pour extraire les principes actifs. J'ajoute une cuill. s. de craie et voilà mon bain de fixant pour la journée. Je le renouvelle tous les jours. Je jette le reste au compost, pas de souci.

Pour fixer, je malaxe les cotons et soie bien secs dans le bain de fixant, pendant deux minutes. Je pourrais les laisser 20 minutes. Ensuite je rince soigneusement, puis je teins. Je rince dans un grand seau qui sert pour tous mes rinçages de la journée. Liles insiste pour qu'on teigne directement après, sans attendre; mais il n'a pas écrit pourquoi.

Jour 1. Monobain de cochenille laines + curieux coton

Pour le jeu, je réessaye un monobain acide à la Michel Garcia. Pour le jeu, car je ne vois strictement aucun souci à utiliser de l'alun, n''étant pas victime de cette curieuse épidémie de terreur sur le net.

J'ai préparé : 200g de laines lavées, non mordancées,  6  litres d'eau déminéralisée, le jus de 3 extractions de 15 minutes chacune de 20g de cochenilles (dans de l'eau déminéralisée), 20g d'acide citrique, 60 g de noix de galles (ce que je pensais être l'équivalent des 10g de gallique purs, dans la recette de MG - je crois que c'est trop ou trop peu). Le pH est à 4. Bouillon doux, 60°C, pendant une heure, refroidi dans le bain. Vieux rose soutenu, ce n'est pas ce que j'attendais de 10% de cochenille. Un écheveau part en cuve d'indigo faible: très joli mauve-violet. Les photos sont en fin de billet.

Il me semblait qu'il restait pas mal de colorant (à cause du trop ou trop peu de tannin? autre fausse manoeuvre? les autres monobains se sont toujours bien passés). J'ai eu envie de tester la précipitation du colorant sur du coton, en copiant le procédé utilisé pour les laques: pour ces dernières, on ajoute de l'alun et une base dans une bain de colorant, ce qui fait se précipiter le colorant sur l'alun, en "flocons". J'ai imaginé que, comme pour le carthame, je pourrais précipiter le colorant sur la fibre. Donc: en fin de ce bouillon monobain acide de cochenille, j'ôte les laines; j'ajoute le coton mordancé (tanins/AA) puis fixé au son de blé et rincé; je relance la chauffe et j'ajoute petit à petit de la chaux aérienne, jusqu'à un pH de 8.

J'ai obtenu assez vite un très beau grenat.  Le bain était à ce moment là quasi transparent, je l'ai jeté. Après le lavage final, ,que je fais pour tous les écheveaux, au savon de Marseille, le grenat est devenu un très joli vieux rose dense. Cela aurait été trop beau!

Jour 1. Gaude, bouillon classique, laines mordancées

J'ai extrait le colorant de 120g de gaude dans de l'eau ordinaire, avec ajout d'une cuill. s. de craie comme d'habitude (pour effet moins verdâtre). 1h30 à 60°C, à couvert, en partant d'eau déjà très chaude (robinet). Ensuite, j'y ai cuit, en laissant le nouet mais en le séparant biendes laines par une vieille assiette ébréchée (j'ai déjà eu des zones de laine plus teintes), deux écheveaux pour un total de 215g poids sec (alunés). En 20 minutes, un  jaune bien franc, un délice. Je les ai passés tous deux dans la cuve d'indigo légère. Dans le bain restant, encore un écheveau: jaune plus pâle, mais toujours lumineux.

Je sais qu'il faudrait d'abord passer en indigo, mais j'avais oublié: donc un tour dans la cuve faible d'indigo, pour avoir des verts d'eau que j'aime en tissage, lorsque je dois soutenir d'autres tons plus forts.

Jour 1. Indigo

Cuve 123 au henné. J'ai amorcé une cuve de 100l par un petit wek d'amorce (cuve-mère) avec 50g d'indigo au total - ce qui est une dose faible pour ce volume. J'aurai besoin de cette cuve faible pour les couleurs pastels. En cours de semaine de teintures, je lancerai un petit seau de 10 litres avec une nouvelle mère qui contiendra 100 ou 150g d'indigo, pour des couleurs fortes, pour de l'ikat et pour du shibori. La cuve "forte" s'épuisera ensuite avec le temps, j'y produirai des pastels jusqu'à ce que je la renourrisse .

 

Pour teindre (ce soir?), je pratique le rituel de tremper une première fois la fibre une minute, pour amorcer la prise; oxygénation avant de retremper de dix à 20 minutes. J'imagine que le rituel vaut pour les tissus, cela assure une uniformité de prise. Je le fais quand même avec les écheveaux, question d'habitude.

J'ai un petit seau à côté de la cuve + un seau d'eau à 40°C à côté de l'évier. Dès que je sors une fibre, je l'égoutte en pressant fortement, juste à ras de la surface pour ne pas faire de gros splotchs oxydants. Je l'égoutte encore dans le premier petit seau, qui en fin de séance sera une source d'indigo (quoiqu'on fasse, il en reste toujours un peu); en fin de séance ou de journée, je reverse délicatement, le long des parois, le contenu du petit seau dans la cuve.

Après le passage premier seau pour l'égouttage et la récupération d'un peu d'indigo, je trempe dans l'eau tiède et tournicote cinq minutes, pour bien oxyder la fibre. Je la pends ensuite, j'attends 20min avant de la retremper si je veux foncer le ton.

J'ai dans un tiroir de la "papeterie": un marqueur indélébile fin, des petits bouts de tyvek et une agrafeuse. En cours de séance, je note la teinture en cours et je l'agrafe sur l'ancien tyvek de l'écheveau, qui indique sa source, le grammage et la densité pour tissage. En effet, je ne peux écrire sur l'ancien tyvek tant qu'il est humide...

NB. J'ai ajouté dans cette cuve de l'eau de cuisson des pelures d'agrumes que j'avais séchées sur un coin de radiateur pour des tisanes. Leur pectine équivaut à la gélatine des Anciens qui, ajoutée dans la cuve, protègerait la soie. Idée de MG.

Jour 1. Garance cordifolia, laines mordancées, extraction minute à la MG

J'ai préparé des extractions de garance des Indes (cordifolia, achat chez Michelgarcia.fr) https://www.michelgarcia.fr/produits.php. Elle me donne de plus beaux rouges que la tinctorium (même source), mais elle ne produit que des bruns si je combine indigo/cordifolia. Raison pour laquelle j'achète aussi de la tinctorium: ses orangés rouges deviennent grenat dans la cuve d'indigo.

J'ajoute toujours dans les rouges de garance et cochenille des infusettes de thé usagées, pour leurs tanins (j'en ai un sac plein, accroché au mur). J'ajouterai un peu de craie si le ton ne me convient pas, car on a désormais un adoucisseur d'eau, l'eau n'est plus du tout dure ici (le terroir de culture de la garance importe aussi, crayeux ou pas; je ne sais ce qu'il en est de mes deux sources actuelles tinctorium et cordifolia). Je dois changer mes pratiques selon les circonstances, refrain connu.

J'extrais comme je l'ai vu faire par Michel G. en vidéo: je verse de l'eau bouillante sur la poudre, je fouette une minute (au mixeur à fouet de cuisine), je filtre; je recommence trois fois en partant chaque fois de la matière restante. J'ai réuni les 3 extractions minute, j'ai chauffé à 80°C puis éteint et laissé la nuit, sans y toucher. J'ai gardé le nouet de nylon qui contient la poudre de départ, je vais l'utiliser en teinture classique.

On ne peut PAS faire pareil avec la tinctorium, qui, elle, perdait ses rouges si elle subissait une si haute chaleur. Il faut lui faire subir le même traitement à 40°C max selon Michel. Dans ses cours, il insiste: c'est l'agitation par mixeur qui importe. Demain, je procéderai à l'extraction de tinctorium en trois fois aussi, à l'eau tiède de distribution.

Sur la cordifolia, lire chez Cath. Ellis: https://blog.ellistextiles.com/2019/03/01/madder-roots-harvest-and-comparisons/ ou https://blog.ellistextiles.com/2016/04/26/digging-deeper-into-a-single-dye-madder-rubia-cordifolia/ (elle extrait à chaud, pendant 20 minutes, sans agiter, apparemment.

 

Photos

Les photos finales seront dans un billet séparé: Photos teintures avril 2023. Sans commentaires, j'ai la flemme.

Ci-dessous, j'ai commenté les photos sur écheveaux rincés puis séchés; photos prises à l'extérieur, sans soleil - ils doivent encore être lavés au final (dernier bouillon au savon de Marseille léger), puis bobinés proprement pour terminer dans mon atelier de tissage. Je produis tout de même les photos dans ce premier temps, car ce blog me sert de repères. On sait que les couleurs chatoyantes, aux mille harmoniques, des teintures végétales, font mauvais mariage avec la photo. Il faudra donc venir voir en réel, lors d'une expo!

 

cochenille MBA sur laine mérinos (plus soutenu en réalité)

cochenille MBA puis bain indigo

coton cochenille voir ci-dessus (plus grenat en réalité)

Voici les zigouigouis produits lorsqu'on veut sécher les fils en séchoir...

gaude sur laine -> indigo léger

indigo léger 2 trempages, sur soie fine - j'ai besoin de fil de soie fin pour retordre certains filés main teints en indigo clair. Je n'en ai plus du commerce.

garance cordifolia selon procédé ci-dessus (sur laine mérinos) - rouge moins cerise que sur mon écran

 


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